Les limites planétaires, l’angle mort du climat?

Les limites ou frontières planétaires font référence à des seuils critiques qui compromettent le fonctionnement des écosystèmes de notre planète.

De manière très concrète, ces limites représentent des seuils à ne pas franchir si l’Humanité souhaite conserver le vivant de manière durable.

Ces limites englobent une gamme de problématiques majeures, qui sont interconnectées : le changement climatique, la perte de biodiversité, la dégradation des sols, l’épuisement des ressources en eau douce, ou encore la pollution atmosphérique.

Au total, neuf limites ont été identifiées. A ce jour, six sont déjà dépassées.

Les neufs limites planétaires

La plus connue est le changement climatique. Cependant, aussi important soit-il, il ne représente qu’une seule limite planétaire parmi 9. En pratique, les neuf sont intrinsèquement liées avec une évolution de leurs conséquences exponentielles à chaque nouveau palier dépassé. Cela provoque ainsi un risque d’emballement.

Il est essentiel d’avoir une vision globale pour appréhender leurs impacts mais également prendre les mesures requises pour prévenir leur dépassement.

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Figure 1. Les limites planétaires (Stockholm Resilience Centre, CC BY), 2022

Changement climatique

Le changement climatique est la limite planétaire la plus souvent évoquée dans les médias. Il résulte de l’accumulation de GES dans l’atmosphère qui génèrent « l’ effet de serre ».

 Les niveaux de dioxyde de carbone (CO2) ont atteint des niveaux sans précédent. La conséquence la plus notable à ce jour est une augmentation de la température mondiale de 1,1°C par rapport aux niveaux préindustriels. Cette dernière a des répercussions néfastes sur l’ensemble des écosystèmes de la planète : la montée du niveau des eaux, l’apparition de zones inhabitables autour du globe, l’intensification des catastrophes naturelles, la perturbation des écosystèmes animaux, …

Cette limite est donc déjà dépassée aujourd’hui mais il est essentiel de comprendre que chaque dixième de degré supplémentaires générera des impacts d’autant plus alarmants.

Le schéma ci-dessous, issu d’une étude publiée dans la revue « Nature Climate Change », illustre les zones du monde qui deviendraient inhabitables d’ici 2100 si nous ne modifions pas nos modes de vie et ne diminuons pas nos émissions de CO2. Cela concerne 47% de la surface terrestre, englobant 71% de la population mondiale.

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Acidification des Océans

Les océans de notre planète absorbent environ la moitié de nos émissions de CO2 (en comparaison le CO2 de l’atmosphère ne représente qu’un quart de nos émissions). Cette absorption entraîne une augmentation de l’acidité des eaux marines. L’acidification des eaux entraîne des conséquences préoccupantes sur les écosystèmes marins, en particulier sur les planctons, situés à la base de la chaîne alimentaire marine (cf. figure ci-dessous).

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Figure 3 : Illustration de la chaîne alimentaire marine « Le manuel du plancton », de Pierre Mollo

Perturber les délicats équilibres au sein des chaînes alimentaires peut entraîner une diminution des populations de poissons et d’autres espèces marines, affectant ainsi la sécurité alimentaire des communautés humaines qui en dépendent.

Au-delà des impacts au sein des océans, le déclin du plancton aurait des conséquences directes sur la vie terrestre. Le plancton est responsable de la production des deux tiers de l’oxygène que nous respirons, grâce à la photosynthèse. Cette limite, pas encore dépassée, pourrait compromettre l’équilibre de l’oxygène dans l’atmosphère, diminuant la qualité de l’air et compromettant la santé des écosystèmes terrestres.

Intégrité de la biosphère

La destruction des habitats naturels, la déforestation, la pollution, le changement climatique, la surpêche, la chasse excessive et l’introduction d’espèces invasives sont des facteurs de la perte de biodiversité.

Chaque espèce joue un rôle unique dans l’équilibre écologique du globe. La disparition d’une espèce perturbe les chaînes alimentaires, altère les processus de pollinisation, réduit la résilience des écosystèmes face aux perturbations externes et diminue la disponibilité des ressources naturelles.

Les écosystèmes sains permettent de purifier l’air et l’eau, ainsi que de réguler notre climat. In fine, conserver la biodiversité permet d’assurer la sécurité alimentaire mondiale et de protéger la santé humaine.

Cette limite planétaire, qui est considérée comme dépassée aujourd’hui, présente un risque de conséquences en cascade qui affecterait l’ensemble des mécanismes de notre société.

Changement d’affectation des sols

Cette limite, considérée dépassée, fait référence à l’altération des sols : la déforestation, la transformation en terrains agricoles ou le recouvrement avec des matériaux imperméables (asphalte, béton, …).  

Ces conversions des terres entraînent des conséquences directes sur les habitats et espèces naturelles, entrainant une diminution de la biodiversité et perturbant les équilibres écologiques. Par exemple, l’agriculture intensive, peut provoquer l’érosion et la détérioration des sols, ainsi qu’une perte de fertilité. 

La perturbation de l’usage des terres peut également perturber les cycles naturels des écosystèmes. Les forêts, par exemple, jouent un rôle crucial dans la régulation du climat en absorbant le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère et en aidant à abaisser les températures à la surface. Lorsque ces forêts sont défrichées, elles perdent leur capacité à agir en tant que « puits de carbone », contribuant ainsi au changement climatique. Cela entraîne également la destruction des habitats naturels ce qui peut perturber les cycles de l’eau, la fréquence des précipitations et les modèles climatiques locaux.

Perturbations des cycles biogéochimiques (azote et phosphore)

La surutilisation d’engrais azotés, liée principalement à l’agriculture intensive a conduit au phénomène connu sous de le nom d’ « eutrophisation ».  

Ce dernier fait référence aux cours d’eau qui deviendraient excessivement riches en éléments nutritifs. Un excès de nutriments favorise la prolifération des algues, réduisant ainsi le niveau d’oxygène dissous dans l’eau et provoquant l’asphyxie des poissons et d’autres organismes vivants. 

L’amélioration des stations d’épuration et les contrôles plus stricts de l’utilisation d’engrais azotés ont eus un impact positif sur cette limite. En effet, depuis le début des années 2000, on remarque une tendance à la diminution du reflux d’azote dans les océans.

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Figure 4. Quantité d’Azote atteignant les océans en France, Système d’information sur l’eau Eaufrance, 2018 

Cycle de l’eau douce

L’eau douce, essentielle à la vie sous toutes ses formes, est une ressource limitée sur notre planète. Les activités humaines, notamment l’agriculture intensive, l’industrie et la croissance démographique, ont un impact considérable sur le cycle de l’eau. L’utilisation excessive des ressources en eau, combinée à la pollution des cours d’eau et à la dégradation des zones humides, entraîne une diminution de la quantité d’eau douce disponible pour la consommation, l’irrigation agricole et la préservation des écosystèmes. 

Les sécheresses et les inondations deviennent plus fréquentes et plus intenses, les situations de stress hydriques se multiplient à l’échelle mondiale. Ceci multiplie et aggrave les tensions géopolitiques autour la détention de cette ressource vitale comme indiqué dans le graphique ci-dessous.

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Figure 5 : Nombre de conflits impliquant l’eau dans le monde de 2000 à 2021, par rôle de l’eau dans le conflit (Pacific Institute; Politico 2021). 

Introduction de nouvelles substances dans la biosphère

L’introduction croissante de nouvelles substances chimiques dans l’atmosphère, résultant des activités anthropiques telles que l’industrie, l’agriculture et la combustion des énergies fossiles, peut avoir des effets néfastes sur les écosystèmes et les êtres vivants.

Au sein de ces substances chimiques, nous retrouvons les particules fines, connues pour leur contribution au développement de maladies chroniques, telles que les maladies cardiovasculaires ou respiratoires.

Une utilisation démesurée et irresponsable des substances chimiques peut engendrer des dangers pour la santé de l’Homme et des espèces animales. Il est essentiel d’évaluer et réglementer leur utilisation, privilégiant des méthodes durables et responsables.

Augmentation d’aérosol dans l’atmosphère

L’utilisation d’aérosols libère des particules, solides ou liquides, qui demeurent en suspension dans l’atmosphère. Ces particules peuvent être d’origine naturelle, telle que les émissions provoquées par les éruptions volcaniques ou les poussières minérales. Elles peuvent également être d’origine anthropique : les émissions industrielles, libérées lors de combustion.

Les aérosols possèdent un effet de « refroidissement ».  En effet, selon leur composition chimique, ils réfléchissent le rayonnement solaire vers l’espace et réduisent ainsi la température du sol. Ils seraient donc capables, dans une certaine mesure d’atténuer une partie du réchauffement climatique. Cependant, les potentiels bénéfices restent à nuancer. En effet, ces derniers sont également la source de risques sanitaires. Par exemple, une prolifération de produits chimiques en suspension dans l’air augmente les épisodes de « smog » dans les villes, engendrant des risques accrus pour la santé humaine.

Diminution de l’ozone stratosphérique

L’ozone stratosphérique joue un rôle crucial dans la protection de la vie sur Terre, en filtrant une partie des rayons ultraviolets (UV) du soleil.

L’utilisation intensive de substances appauvrissant la couche d’ozone, telles que les chlorofluorocarbones (CFC), a entraîné une diminution significative de la concentration d’ozone stratosphérique. Ce phénomène a conduit à la formation d’un « trou » dans la couche d’ozone au-dessus des régions polaires, augmentant ainsi l’exposition aux rayons UV, nocifs pour le vivant.

Une exposition prolongée à des rayons UV peut occasionner des lésions cutanées, ou encore des affections oculaires notamment sur la cornée. Ces rayons sont également associés à des maladies comme le cancer.

Ils perturbent également les écosystèmes marins et terrestres, affectant la croissance des plantes, le phytoplancton et les chaînes alimentaires. 

Pour préserver la limite planétaire de l’ozone stratosphérique, des mesures importantes ont été prises à l’échelle mondiale. Le Protocole de Montréal, signé en 1987, a établi un cadre international visant à éliminer progressivement les substances appauvrissantes d’ozone dans l’atmosphère. Il s’agit de d’une des réussites majeures en termes de coopération mondiale pour protéger la vie sur terre.

Toutefois, il est encore trop tôt pour déclarer victoire, puisque le trou de la couche existe encore mais devrait se résorber d’ici 2066, c’est-à-dire dans 43 ans1 d’après les experts du Climat.

Afin de promouvoir une action collective et efficace, il est crucial de reconnaître que les limites planétaires sont interconnectées et qu’une approche holistique est nécessaire. Cela implique de considérer les interactions entre les différentes limites et de rechercher des solutions qui traitent simultanément plusieurs enjeux.

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Figure 6. Diagramme représentant les effets positifs et négatifs des actions visant à atténuer le changement climatique sur les actions visant à atténuer la perte de biodiversité (en haut), et des actions visant à atténuer la perte de biodiversité sur les action. Credit : IPCC-IPBES (2021).

Par exemple, viser à protéger les sols en préservant les forêts, comporterait des externalités positives sur la biodiversité, le cycle d’eau et le changement climatique directement.  

En adoptant une approche intégrée, nous pouvons obtenir des résultats davantage efficaces et durables pour notre environnement, notre santé et les générations futures.

Sources